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Monsieur le Conseiller Municipal, cher ami, Lactualité nous interpelle et je voudrais te faire part de mes réflexions : Vitrolles a basculé, le F.N. est désormais aux commandes de la ville. Et les premières décisions de son Maire, madame Megret, sont maintenant connues. Parmi elles, celle de mettre en place un service dagents communaux chargés de recueillir les doléances des habitants sur les dysfonctionnements de lespace public et dy répondre dans les plus brefs délais par des interventions quasi immédiates, on annonce des échéances dune semaine Quand on travaille régulièrement avec les habitants, on ne peut être insensible à une telle mesure. Elle est une réponse, enfin, à des milliers dinterpellations dhabitants impatients et déçus par limpression de ne pas être écoutés, (et donc pas entendus), de navoir dintérêt pour les élus quà la veille des élections, et de subir indéfiniment des nuisances que le service public est incapable de prendre en compte et de gérer. Faut-il, en effet, accepter plus longtemps de supporter la plaque dégout qui claque, le caniveau bouché, larbre sans élagage, le trou dans le trottoir devant chez soi, les emballages défigurant la haie de troènes, alors quune simple intervention, parfois de quelques minutes, résoudrait tout ? Lextrême droite ne serait-elle pas en train de répondre simplement, par une meilleure écoute des habitants, à un désir légitime de tous et ainsi améliorer la vie quotidienne de chacun efficacement, sans palabres stériles ? Soyons attentifs, soyons vigilants, larbre de cette mesure qui paraît si simple et saine, cache une forêt démoniaque et épidemique. Tout dabord, souvenons-nous que cette mesure concerne la rue, la place, le trottoir, le square, bref, un espace public. Cest à dire, un espace qui permet à chacun, habitant du quartier ou dun autre quartier, de la ville ou dune autre ville, dune autre région, dun autre pays de circuler librement, de croiser ses congénères, de les rencontrer. Cest lespace partagé par tous, par les commerçants et les entrepreneurs, par les enfants et les adolescents, par les ouvriers et les chômeurs, par les hommes et les femmes Lespace nécessaire pour que chacun entreprenne sa vie librement dans la ville, mais aussi, mais surtout, lespace de la rencontre de lautre, le lieu de la reconnaissance de lautre, de la conscience de lexistence des autres. Cest par excellence, dautant plus depuis laffaiblissement du monde du travail, de lusine et des syndicats, un lieu dinitiation à la vie sociale. Cest lespace de la parole que les Grecs antiques appelaient lagora. Lespace qui confirme que chacune de nos individualités constitue un ensemble, un peuple. Depuis que la ville existe, lespace public se développe ou satrophie dans un corps à corps féroce et amoureux avec son alter ego, lespace privé, le droit dêtre chez soi, de protéger sa famille, ses biens, son individualité. La limite entre ces deux grandes entités a écrit les plans des villes et lon peut y lire les idéologies quils sous-tendent. La ville contemporaine en est une caricature. Elle permet à lespace privé des lotissements cossus dimposer à lespace public une organisation en impasse, réduit à sa seule fonction de desserte, contribuant lui aussi à défendre les propriétés privées. Alors que les quartiers dhabitat social limitent lespace privé au seul logement, à tel point que limmensité de lespace public le rend sans enjeu et indifférencié. Dun côté, la logique privée produit une ville du chacun chez soi, de lautre, lutopie collective empêche toute appropriation... Si le combat de nos pairs fut de donner à chacun un minimum de confort, de salubrité à leurs concitoyens, de leur permettre laccès aux équipements, à léducation, aux services, le notre est, il me semble, de bâtir un espace public sensé. Pour cela, nous ne pouvons plus compter sur la seule logique des techniciens, qui, en fonction de leur compétence ou spécialisation ont construit un espace public fonctionnaliste, tout pour lautomobile, ou tout pour le piéton, ou tout pour le commerce... On sait bien maintenant que la rue est lespace du partage, de la multiplicité des fonctions, donc dune grande complexité quon ne peut appréhender avec un seul point de vue. On sait, et Grande-Synthe plus que toute autre ville, quil ne suffit pas dêtre élu pour avoir toute compétence et quil est temps dinviter les habitants à se rapprocher des lieux de décision : lusage quotidien de la ville donne aux habitants une compétence dont il est vain de se couper. Mais comment permettre que laffrontement entre les intérêts privés et les raisons communes produise enfin un espace public sensé ? Je ne vois pas dautre chemin que celui de la négociation. Lespace public doit être le produit négocié par tous. Il ne peut-être quenfanté dans le débat contradictoire de tous ses usagers. Il a besoin pour son élaboration, son amélioration, son développement et sa protection dun lieu de débat, déchange de points de vue, bref de parole qui est sans doute lui même le premier espace public. Ceci est difficile à mettre en place. Difficile de mettre chaque interlocuteur au même niveau. Difficile de se comprendre pour négocier. Difficile de clarifier les rouages de la décision Mais cette difficulté est incontournable pour prendre en compte la complexité qui se joue sur ce territoire fondamental de la ville. Toute tentative de réduction de la question par la mise en place doutils soit disant simples et évidents me paraît porter en elle une idéologie de lexclusion. Exclusion de la parole évacuée du débat. Exclusion des logiques et des points de vue qui ne sont pas représentés lors de lénoncé de la question. Le projet issu de ces processus ne peut que produire lexclusion des usages qui nauront pas eu droit de parole à lorigine. On imagine bien évidemment comment Vitrolles peut, petit à petit, se remodeler par de petites interventions décidées en tête à tête entre un technicien mandaté et un habitant revendicatif : suppression du banc et de léclairage public à langle de telle rue, les jeunes sy agglutinent jusquà tard dans la nuit, empêchent monsieur X de dormir ; pose dune borne à carte à lentrée de la rue, la circulation voiture perturbe le calme de la famille Z ; emplacements réservés au stationnement des voitures devant lentrée de monsieur Y, à lexclusion de tout autre, sous peine de mise en fourrière... Bornes, chaînes, cadenas, murs et clôtures pourraient bien devenir un marché florissant pour cette ville. Et lespace public risque bien de perdre du terrain dans le duel quil mène avec lespace privé. Mais ne dramatisons pas sur la forme urbaine, Vitrolles sen remettra sans doute et saura briser ses chaînes dans un avenir proche. Je suis beaucoup plus inquiet pour les autres villes de France dont beaucoup délus risquent dêtre séduits simplement par cette mesure et la reprendre à leur compte. Et permettre ainsi de démultiplier et de provoquer une vaste épidémie par laquelle les villes laissent, en toute légitimité cautionnée par la prise en compte de la parole des habitants, lespace public se faire grignoter par la logique individuelle et privée. Alors que lenjeu principal de notre action est de tenter de redonner du sens à lespace public, de recréer des espaces de parole, de rencontre, de conscience citoyenne, lextrême droite inocule le virus de lexclusion par une mécanique perverse qui pourrait bien séduire les plus démocrates dentre nous. Il paraît légitime que la plaque dégout soit réparée rapidement et ne réveille pas ses riverains à chaque fois quelle claque au passage dun camion. Mais il est indispensable de convoquer tous les usagers de la ville pour négocier lélaboration de son espace public. Saurons-nous, vite, inventer lantidote et montrer à tous son efficacité ?
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