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La participation fait sa révolution.

par Pierre Mahey
paru dans "La participation des Habitants
Enjeux et Pratiques"
Actes 1999-2000
Pôle de ressources départemental 95

 

Après avoir demandé la mise en place à l'échelle nationale de " Fonds de Participation des Habitants ", le gouvernement prépare maintenant la systématisation de Comités de Quartiers pour toutes les villes de plus de vingt mille habitants. Quel renversement de tendance depuis le début des années 90 ! L'utilisation du mot " participation " était alors quasiment prohibé de tout discours sur la gestion urbaine. Il est désormais présent dans la plupart des déclarations politiques de ces dernières élections municipales et entre dans l'arsenal réglementaire de l'état. Que s'est-il passé ?

Il me semble que ces phénomènes sont la conséquence de plusieurs évolutions profondes et simultanées.

  • Tout d'abord, nous devons constater que notre système démocratique est déstabilisé par une suspicion permanente et réciproque. Elle impose aux forces politiques de se questionner et de chercher des moyens pour rétablir leur légitimité.
  • L'affaiblissement des forces associatives a sans doute atteint son paroxysme et nous entrons maintenant dans une phase de reconstitution indéniable.
  • La ville elle-même, lieu de vie de la plupart de nos contemporains, est admise comme l'espace de toutes les complexités et sa gestion ne peut faire l'économie du croisement de toutes les compétences. Le simple fait d'être plongé dans la réalité d'un territoire confère aux habitants une compétence sur celui-ci dont on ne peut plus se passer.
  • Le sentiment pour chacun d'un éloignement du lieu de la décision sur l'action publique est devenu trop important pour ne pas engendrer des volontés de changement. La complexité du réglementaire, le transfert de compétences à des échelles d'organisation plus vaste, comme l'Europe ou l'agglomération, l'impression d'impuissance que donne le politique vis-à-vis de la mondialisation économique sont autant de sujets qui font grandir le désir d'un meilleur contrôle sur la décision publique. La délégation, par le suffrage, tous les six ans, est ressentie souvent comme un chèque en blanc pour gérer un projet qui se transforme chaque jour et ne peut plus se formuler définitivement sur des échéances si longues.
Tout cela a fait évoluer radicalement la question de la participation. Outil de gestion du projet d'aménagement dans les années 70 et 80, la participation est devenue le projet, avec pour objectif de changer la démocratie.

Rappelons que les premières expériences en matière de participation se sont déroulées sur une critique forte des procédures ZUP qui ont brutalement urbanisé la périphérie des villes. Les populations qui se sont installées dans ces nouvelles cités, déracinées de leurs origines, ont été perçues comme ne pouvant pas s'attacher à ces lieux d'habitations. Durant les années 70 et 80, la question de l'appropriation de son lieu de vie était centrale. Et la participation semblait un bon outil pour que les habitants puissent comprendre le projet d'urbanisation, le faire leur, et ainsi s'y enraciner.

L'arrêt d'une urbanisation rapide et le temps de la réhabilitation du parc social dans les années 80 et 90 ont incité au développement de nouvelles expérimentations en matière de participation. Il était alors question de retisser le lien social, de favoriser encore une fois l'appropriation, de maintenir en quelque sorte la paix sociale sur des territoires dont la gestion devenait de plus en plus difficile.

C'est principalement sur ces origines que la participation fonde sa légitimité. Mais ses objectifs ont assez fondamentalement changés. Si appropriation et participation étaient intrinsèquement liées dans les années 70 et 80, ce sont maintenant citoyenneté et participation qui font la paire. La participation est désormais entrée dans l'affirmation de son rôle politique.

En même temps, les expériences passées ou plus récentes de la politique de la ville nous ont appris que la participation, ça ne se décrète pas. Ça s'organise, ça coûte, ça nécessite des enjeux, des règles, des méthodes, des changements profonds dans l'organisation du service public… Sans entrer dans l'énoncé des questions incontournables qui président à la mise en place et à la conduite de dispositifs de participation, nous voulons en pointer quelques-unes qui concernent l'accès de ces lieux de débat par tous.

Longtemps, les processus de participation ont été conçus à l'image de la démocratie de délégation en cherchant des interlocuteurs représentatifs des habitants. Puis la question de la représentativité a été remplacée par la question de la prise en compte de la diversité des points de vu, et ainsi, la question de la mobilisation du plus grand nombre est devenue principale.On constate que les expériences les plus riches tentent de mettre autour du même espace de débat des élus, des professionnels et des habitants. Mais ces assemblées, si elles s'adressent à tous, ne sont pas accessibles à tous de la même façon. Et si les organisateurs de ces espaces publics de débat ne sont pas suffisamment conscients de ces difficultés d'accès, ils risquent de construire des tribunes aux plus habitués et laisser de côté une grande partie des habitants.

 

Avec des acteurs de ces dispositifs de participation, nous avons tenté de repérer quelques points clefs qui facilitent et améliorent les capacités des gens à se mobiliser sur des actions collectives.

La reconstruction de la confiance est fondamentale. Confiance en soi tout d'abord, confiance dans les autres ensuite, et en particulier confiance dans les élus et les techniciens qui sont a priori suspects, confiance enfin dans la proposition de participer elle-même.

Parmi les moyens de rétablir la confiance, nous relevons des constantes :

  • . Tout d'abord, chacun aspire à vivre des rapports humains polis, urbains, et l'attention à l'accueil est une règle de construction de la confiance.
  • . L'apprentissage du dialogue, l'amélioration des capacités d'expression et d'adaptation de cette expression aux interlocuteurs est considérée comme une étape décisive dans l'initiation à l'action collective, la difficulté d'expression est ressentie comme principale barrière.
  • . La façon dont on vous regarde est déterminante. Le fait d'être reconnu, au sens propre comme au figuré, transforme les capacités de la personne. Il ne faut pas minimiser en particulier l'importance que prend le fait de pouvoir un jour échanger avec un élu important.
  • . Si l'accès aux espaces publics de débat n'est pas évident pour certains, il peut être facilité par un premier apprentissage du projet collectif avec un groupe homogène, par exemple ne rassemblant que des habitants. Ce peut-être aussi le moyen de vérifier, entre soi, si l'on n'est pas manipulé par d'autres partenaires. Cependant, il est important que les liens avec les autres partenaires restent toujours visibles, que l'on puisse toujours apercevoir, de là où l'on est, un peu de l'organisation globale de la démocratie. C'est le minimum pour permettre que l'on puisse désirer s'y rendre.
  • . L'enfermement, la constitution en tribu est un risque qui guette chacun des lieux de participation. Bien que l'appartenance à un groupe soit un plaisir rassurant, on se méfie de cette tendance au repli sur soi, à la trop grande connivence de partenaires qui se connaissent trop bien. La confiance dans le dispositif passe aussi par sa capacité à pouvoir accueillir de nouvelles personnes, à pouvoir rester ouvert et permettre à ses participants d'entrer et de sortir quand ils le souhaitent.
  • . Les règles de fonctionnement du dispositif doivent être connues de chacun. On le comprend aisément quand on prend conscience que toute participation à une action collective est un engagement personnel. Et que personne ne peut s'impliquer sans savoir à quoi il s'engage. Les expérimentations les plus riches ont montré que la co-élaboration des règles de fonctionnement par les participants était un réel gage de confiance pour le dispositif.

 

Une autre question clef concerne les échelles de territoire et les sujets mis en jeu dans ces espaces de participation.

Si traditionnellement, la légitimité des habitants à intervenir sur l'espace de leur logement ou de sa proximité est reconnue, s'il semble aussi que le quartier proche reste le meilleur territoire pour mobiliser les personnes les plus éloignées du débat public, il paraît indispensable de permettre au débat de s'ouvrir sur des échelles de territoire beaucoup plus vaste. C'est par la compréhension de l'articulation entre les échelles de territoires, de la montée d'escalier à la ville, à l'agglomération, que les personnes peuvent entrer dans le débat dans un autre rapport que celui de la revendication personnelle et cheminer vers l'action citoyenne.

De la même façon, si l'on admettait jusqu'alors que la parole des habitants avait une légitimité sur l'habitat ou à la rigueur le cadre de vie, il est désormais indispensable, pour que le débat soit crédible, de pouvoir mettre en jeu toutes les questions qui interviennent dans l'action publique et qui font la vie des gens en ville. Ce qui relativise ce personnage étrange, uniquement sollicité dans les processus de participation, "l'habitant", alors que nous sommes tous aussi usagers, parents d'élèves ou écoliers, sportifs et conducteurs d'automobile, consommateurs et militants… Pourquoi la fonction d'habiter donnerait une légitimité plus grande dans l'action citoyenne ?

A tout cela, l'organisation du service public n'est pas préparée. Sa sectorisation structurelle est en permanence en porte-à-faux par rapport à la demande de transversalité d'un débat participatif qui veut voir autour de la même table se croiser tous les points de vue et toutes les thématiques. Sa transformation en profondeur, pour aller vers une gestion de projet plutôt qu'une gestion structurée sur les territoires thématiques et sur la hiérarchie, est une condition première de réussite du changement que la participation peut amener dans notre démocratie.

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